Horror Stories

La maison des tordus


Mon frère est tout tordu. Il penche vers l’avant. Depuis toujours, et de plus en plus. Il était tordu quand nous étions enfants. Trop tordu. Il ne penchait pas seulement. Il se tordait sur moi. Et je me suis tordue. Je rentrais dans mon dos. Il me regarde souvent, levant les yeux et souriant étrangement. Je ferme les miens. Je ne souris pas. Il me fait peur.


Maman est toute tordue. Elle est là, rabougrie et toute ridée, les yeux si secs et toujours si ouverts. Sa jupe plissée, comme ses paupières disparues, pend, raide et sale, autrefois blanche, maintenant grisâtre. Elle ne sourit pas. Elle ne parle pas. Je crois même qu’elle ne parlera plus jamais. Ses doigts tordus ne tordront plus les miens. Ses yeux sont secs. Blancs. Elle me fait peur.


Mon père est tout tordu. Il erre partout dans la maison tordue. Il penche très fort vers l’avant. On dirait un escargot vieux de mille ans. Un escargot tant de fois écrasé et revenu à la vie. Il sourit, à mon frère tordu, à moi… Il sourit, et son sourire est tordu aussi. Ses dents le sont encore trop…


Je suis toute tordue. Je marche dans la maison. Je marche dehors. Les gens ont peur. Je les regarde, leur sourit, les rassure. Je vois leurs yeux. Je vois leur peur. Je ne suis que tordue. Tordue, tordue, tordue. Je voudrais m’enrouler jusqu’à la mort.


Le monde est tout tordu. Il penche trop vers l’avant. Je bascule vers l’arrière pour qu’on s’entende bien. J’ai mal, si mal. Je bascule tant que les mois passent, dans un temps plat, monotone…


Mon frère ne sort plus. Il reste tordu dans son lit. Ma mère se tord de moins en moins, dans la poussière. Mon père ne nous regarde plus. Il ne peut plus voir que le sol maintenant, dans son corps craquelé aux vertèbres saillantes et acérées.


Je reste tordue, seule dans la maison vide, silencieuse. Longtemps, si longtemps. Ils ne sont plus là.

Je n’ai plus peur. Je peux me relever. Je sors de la maison, droite, invisible, flottant au dessus du monde devenu si beau, si droit...