Horror Stories

Scélérate


Le sel griffait la peau. Tannée par le soleil, celle-ci, flétrie et froide, accueillait malgré elle les relents de la mer. Les vagues hurlaient sur le pont. Sur les corps fatigués de lutter. Et, interminable, sauvage, cruelle, la tempête n’en finissait pas.

Les marins, pourtant de solides hommes qui avaient déjà maintes et maintes fois combattu les éléments, dévoré les vagues et pêché la mer, pleuraient et priaient.

La vague scélérate était arrivée. Ils connaissaient son nom, sa force, et même son envie meurtrière de les voir chavirer, sombrer, dans l’océan pour les avaler, les mâcher, les vomir sur les fonds sableux et pourris de cadavres anciens et faune nouvelle. Ils la connaissaient et la redoutaient tellement.

Les hommes étaient accrochés, désespérément, sur les mâts, sur les voiles, sur le pont, ici sur une bouée, là sur le gouvernail. Et jamais ils ne lâchèrent. Et toujours ils prièrent ; leurs lèvres bougeaient dans des supplications vaines.

La vague, immense, plus haute que les hommes, plus haute que la mer, plus haute que les cieux, tomba sur eux après les avoir agités en tous sens, après les avoir remués jusqu’à la nausée. Elle tomba sur eux, s'écrasa, comme si le ciel giflait la terre.

Et sa sœur, l’autre scélérate, arriva.

Et ce fut ainsi, longtemps, longtemps. Si longtemps que les marins ne comptaient plus les secondes entre les roulements. Leur bateau, si minuscule au regard du monde, n'était qu'un point noir sur l'écume bouillonnante.

Les marins, si jeunes, si naïfs, si vivants, luttèrent. Ils s'accrochaient encore, encore, en hurlant l’un à l’autre, se promettant de ne pas lâcher. Ils tombèrent.

Un. Deux. Trois. Quatre.

Et ils nagèrent sous les relents meurtriers, sous les roulis salés. Tapèrent les fonds rocailleux. Virent les poissons fuir devant leur allure incongrue, de créatures exotiques qui n’avaient rien à faire là, dans leur maison. Dehors, les hommes.

Une main se tendit alors au-dessus de la rambarde, près du portillon. Un jeune homme remonta un autre homme. Un autre après ça. La mer, calme tout à coup, les laissa respirer. Ils se tinrent là, tous, sur le sol de bois et se comptèrent, soulagés. Ils ne pleuraient plus, trop essoufflés, trop remués. Et enfin, ils se mirent à genoux sous une pluie battante et acide qui les nettoyait sans relâche, en faisant glisser de leurs corps malingres le sable, les algues, les coquillages.

Ils touchèrent, avec soulagement, le pont, trempé, glissant, de leurs doigts fripés, comme moisis. Amers, pourtant, ils sourirent. Ils regardèrent les vaguelettes, embryons de leur mésaventure, et ils rirent. Ainsi donc, et pour toujours, ils le savaient, c’était ça. La mer. La vraie. Imprévisible. Indomptable. Vicieuse. Et si belle.

Les marins, en chantant le cœur léger, le corps sans peine, reprirent la route, naviguant de plus en plus loin dans le noir, sous la houlette des dieux anciens, ceux qui guidaient la mort vers sa maison dans un voyage sans fin. Ils naviguèrent pour toujours, dans l’invisible océan.

La coque, brisée, sombra. Le bateau mort-né, tout neuf, retapé pour son centième voyage, ne rentra jamais à bon port.