Horror Stories

Un grain de raisin dans la poussière


— Une… deux… trois…


Je comptais les pas tout haut à mesure de mon avancée dans la forêt. Voilà des heures maintenant que je guettais, humais, observais partout autour de moi. Des heures que je la cherchais, elle… Ma femme. Disparue comme ça, pouf ! Quelle connerie putain. C’est pas comme si elle m’avait pas prévenu. Qu’elle m’avait pas dit que des gens disparaissaient là-bas. Qu’il fallait juste revendre ce putain d’chalet et nous trouver une maison secondaire ailleurs, en Espagne ou à Marseilles par exemple. Mais moi… moi l’abruti fini qui voulait une escapade sauvage et qui ai insisté pour venir… J’ai été servi. Foutre dieu.


C’est le deuxième soir qu’elle s’est évaporée. Partie pisser, elle est pas revenue. J’ai attendu un peu, pensant qu’elle avait besoin d’intimité pour ses problèmes de femmes. Mais au bout d’un quart d’heure, je me suis inquiété. Je suis sorti du chalet et elle était pas là. Ni aux latrines, ni autour, ni même sur la rive du petit lac qu’elle aimait contourner le soir sous la lune.


— Ella ! j’ai crié.


Plusieurs fois j’ai scandé son nom dans cette forêt, mais seul l’écho de ma voix inquiète résonnait. Des bruissements dans les feuilles sous la brise ricanaient. Des hiboux se moquaient. Puis rien. Ce froid, ce noir, cette lune…


— Ella !


Et j’ai gueulé pendant des heures en m’éloignant de la baraque. J’m’en suis pas rendu compte tout de suite. C’est quand j’ai commencé à avoir soif que j’ai réalisé. Quel con.


— Un… deux… trois…


Encore et encore. Aucune trace de ma femme, rien, nulle part. Comme si elle avait jamais existé. Une barre dans l’bide me faisait mal. J’voulais juste me rouler en boule par terre, dans la merde de renard et chialer. Mais j’pouvais pas. J’devais pas. Et en plus il commençait à pleuvoir, manquait plus qu’ça.


— Ella !


Toujours pas de réponse. La rage commençait à remplacer la peur. Quelle connasse aussi elle ! M’avait bassiné par sa peur et après elle se j’tait dans la gueule du loup ! J’ai tapé dans un arbre, de je n’sais quelle espèce. Et en plus maintenant j’avais mal. Je pissais le sang. Plic, ploc… Il gouttait par terre et moi j’regardais en l’air, pour demander au bon dieu ce qu’il me foutait là.


— Ella !


J’avançais toujours, m’enfonçant dans la forêt un peu plus, dans les ténèbres. Des arbres, de la terre, des fougères, des champignons… Que de la verdure. Puis là… Là, au bout du fourré… Du bois… Une cabane ! Vite, j’ai couru comme un dératé.


— Ella !


La cabane était déglinguée. Presque plus de toit, pas de porte, pas de fenêtre, juste une ouverture dans l’mur pour aérer, entrer et sortir. Mais elle était peut-être dedans, ma conne de femme. Je suis entré. Poussière, poussière, terre, mousse et plantes cheloues qui grimpaient sur les murs. Rien d’autre. Une seule pièce déphasée avec le temps, mais pas de vie ici.


— Ella… j’ai chuchoté.


Je me suis assis et j’ai pleuré comme un con. La poussière et la terre sur le sol ont fini par former une petite flaque de boue dégueulasse. Je l’observais quand j’ai aperçu le truc le plus flippant du monde.


Un grain de raisin.


Sous la table.


Impeccable.


Un putain de grain de raisin ! Dans tout ce merdier. Je me suis relevé, scrutant partout autour de moi. Ella n’avait pas amené de raisin. Mon cerveau fonctionnait à cent l’heure. D’où venait ce grain de merde ? J’ai pas fait gaffe tout de suite aux grattements dehors. C’est quand je suis sorti de la cabane que j’ai réalisé. Il y avait quelque chose. C’était furtif mais ça se déplaçait, j’en était certain. Droite ! Rien. Gauche. Crac. Rien. Putain c’était quoi ?


— Ella… j’ai miaulé.


J’crois que c’est la dernière chose que j’ai dite. J’ai senti un choc sur ma tête et une odeur de raisin. J’ai vu une bouche sous une capuche. Une bouche écoeurante, sale, aux dents noires qui broyaient de la viande et du putain d’raisin. Puis un deuxième choc. Le noir. J’ai essayé de frotter ma tête, mais j’y arrivais pas. Et avant de sombrer, j’ai vu que la chose tenait une main. La main d’Ella. Sa bague rose… C’est la dernière chose que j’ai vue.