Horror Stories

Le phare


Marcus prit le large à bord de cette croisière de luxe dont il avait entendu parler de la bouche de sa meilleure amie Lucie.
Cette dernière s’était rendue du côté des îles Fidji, là où la mer est limpide comme un miroir offert par mère nature ; un miroir vers un autre monde, celui d’une flore et faune marine avec ses poissons de toutes formes et de diverses couleurs, ainsi que ses nombreux coraux.
Toutefois, il n’y avait pas que la mer qui était enjôleuse. Les îles qui dormaient, pour la plupart, sur ce lit bleuté et en mouvement constant rendaient à la nature, ici très peu touchée par la main de l’Homme, sa gloire d’antan. Là aussi la flore et l’herbe émeraude étaient à couper le souffle.

Marcus vivait dans une banlieue délabrée et délaissée par le temps et l’Homme, aux maisons dont les murs s’effritaient par endroits, ou étaient complètement fissurés par d’autres.
Il y avait aussi les relents d’égouts qui bien trop souvent au goût de Marcus remontaient à la surface, donnant à la ville un air de cadavre encore en décomposition.
Marcus avait grand besoin de changement et l'idée d'une croisière sur l’océan, du vent marin et le doux parfum de l’aventure qui l’appelait et l’enivrait le décidèrent à partir.

Le jeune homme se rendit alors sur le site de Costa Croisière afin de faire sa réservation pour le début du mois suivant qui était justement quelques jours plus tard. Seulement, lorsqu’il voulut payer son billet la banque refusa la transaction. Visiblement, c’était hors de ses moyens.
Il avait pourtant tenté d’économiser. Cela aurait-il été en vain ?
Frustré, il ferma son ordinateur avec une telle violence qu’il crut entendre l’écran se briser. Il le rouvrit rapidement…rien.
Il souffla aussi bien de soulagement que de dépit.
Marcus réfléchit et eut une idée. Il se dit qu’il suffirait de se faire passer pour un membre d’équipage, comme ça, ni vu ni connu, il pourrait embarquer.

Quelques jours plus tard, Marcus alors vêtu d’un costume qui le faisait passer pour un membre du personnel se faufila auprès du reste de l’équipe maritime du bateau tant convoité.
Sa casquette camouflait assez bien son visage et vu qu’ils se ressemblaient tous de par leurs habits communs, il n’eut aucun mal à se fondre dans la masse.
Le temps de faire monter tous les passagers à bord lui parut interminable. Il fallait dire qu’ils étaient des centaines comme lui à vouloir partir en croisière.
Enfin, la dernière personne embarqua.
Marcus continua de se faire discret et se dirigea vers la passerelle.
Il ne sut si cela avait été la providence, mais il semblerait que l’un des membres d’équipage avait dû se désister au dernier moment à cause d’une bronchite.
Marcus eut donc droit à sa propre cabine. La chance semblait lui sourire en tout point de vue.

La croisière voguait sur les eaux dormantes voilà maintenant plus de trois jours. Marcus avait réussi à se faire quelques amis avec lesquels il buvait souvent au seul bar disponible sur tout le navire. Il avait la bouteille facile, mais tenait néanmoins très bien l’alcool. Il s’amusait d’ailleurs à lancer quelques défis à ses nouveaux compagnons, sachant qu’à ce jeu-là il avait peu de risque de perdre. Il avait refait en outre son porte-monnaie.
Pourtant, tout cet alcool ingurgité finit par lui monter à la tête et au bout d’une semaine à boire chaque soir, il abdiqua d’une terrible migraine.
Il partit donc s’allonger pendant de bonnes heures pour se remettre de ses excès.

Lorsqu’il se réveilla enfin il se rendit compte à ce qu’affichait son téléphone qu’il avait dormi durant deux journées entières. Il se redressa et son regard se porta vers le hublot de sa cabine. La mer était calme et étrangement silencieuse. Même les vagues semblaient s’être faites discrètes.
Marcus sortit alors sur le pont, histoire de prendre un bol d’air frais qui ne lui était pas de refus. Il faisait sombre et une brume s’était levée depuis l’ouest accentuant chez lui une sensation de claustrophobie qu’il ne se connaissait pas d’habitude. Étrangement, il se sentit comme prisonnier de ces ténèbres qui l’enveloppaient d’une sorte de linceul mortuaire.
Puis, comme entendant sa plainte silencieuse, une lueur brisa la pénombre. Elle était à peine perceptible à travers la brume, mais elle était bien présente. Elle oscillait sur place et Marcus se demandait ce qui la dégageait. Il était attiré par cette dernière. Il ne la quitta des yeux que lorsque le phare se révéla à lui. Marcus ne sut pourquoi, mais il ressentit en cet instant un sentiment de malaise. Comme un poids sur ses épaules, un regard posé sur sa nuque.
Il se sentait observé. Observé par ce phare. À vrai dire, il avait l’impression d’être le centre d’une attention non désirée. Puis, l’appelant de partout et nulle part à la fois, des voix résonnèrent dans sa tête, et elles étaient loin d’être amicales. Marcus était comme assailli. Son cœur se serrait au fur et à mesure que la tension grimpait en lui.
Il ne se rendait pas compte, hypnotisé par les voix, de la démence dans laquelle il s’était fait le prisonnier.

Lorsqu’il aperçut l’homme et son regard décontenancé, comme s’il avait été une bête curieuse, des souvenirs ressurgirent des tréfonds de son inconscient, des souvenirs dont il avait honte.
Marcus tenta de fuir ce regard jugeur mais d’autres gens sortirent de leur cabine, l’observant, médusés. Il tenta de trouver une échappatoire. Seul l’arrière du navire lui sembla accessible. Marcus courut en essayant d’éviter cette foule railleuse, moqueuse même. Et il entendait toujours les voix. Il n’était plus maître de lui, plus maître de la situation. Et le phare l’attirait toujours, sa lueur vacillant comme un pendule. Puis, dans sa frénésie, il passa par-dessus bord.
Il n’eut même pas conscience de se faire happer par les hélices du bateau et ce fut alors sur des débris de chair éparpillés dans l'eau salée et les hurlements hystériques des passagers qu’enfin le phare se tut.

Et voilà comment finit ce pauvre Marcus.

Sa conscience lui aura-t-elle joué des tours ? Je peux peut-être vous le confirmer. Elle prit tout d’abord forme sous les traits de son amie. Amie qui en silhouette furtive s’était éteinte dans le lointain, en même temps que la lueur du phare, telle la flamme éteinte depuis que cette pauvre Lucie avait mis fin à ses jours, ne supportant plus la haine des habitants d’Aulnay que cet idiot de Marcus avait trahis.
Car voyez-vous, en tant que maire de la ville, Marcus était loin d’avoir fait les choix les plus honnêtes. Il avait, fut un temps, détourné des fonds pour ses incessantes dettes de jeux, laissant peu à peu la cité et ses habitants dans le chaos. La zone était depuis lors tombée en ruines.

Marcus avait même ignoré la détresse de sa seule amie, aveuglé par l’appât du gain et celle-ci avait décidé d’en finir.

Mais elle ne resterait pas seul. Car dans mon extrême bonté je lui ai permis d’avoir un compagnon dans sa tourmente éternelle.

Ce cher Marcus l’avait voulu en petites coupures…son vœu fut exaucé.

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