Horror Stories

Les maisons qui font peur


(Écrit le 01/03/2023)

Musique suggérée : Pan's Labyrinth


J’avais cinq ans quand on est arrivés dans le coin. Cinq ans, encore toutes mes dents de lait et mes deux parents, puis ma sœur, grande sœur même, parce qu'elle avait sept ans, et une dent en moins. La maison était immense, trop grande pour nous quatre, et elle était belle. Je m’en souviens parce que maman disait « Ho chéri, depuis le temps ! Nous sommes enfin dans notre palais ! » à papa, et elle le répétait souvent, un verre d’eau rouge à la main et en dansant légèrement de la tête, comme un fantôme, sauf qu’elle était bien là, en chair et en os. Elle dansait et ça faisait des ombres sur les murs gris et froids. Papa la regardait avec cet air que j’ai toujours trouvé étrange. Comme s’il allait la manger.

Moi je savais pas de quel palais elle parlait. Notre maison était normale. Je ne me souviens pas de tout, je n’avais que cinq ans. Alors les souvenirs, ma petite cervelle a décidé quoi garder, quoi jeter, quoi mettre de côté. Après tout, nous étions arrivés là brutalement, personne ne s’attendait à ce qu’on parte, du jour au lendemain, pour l’autre bout du monde. C’est papa qui nous avait dit un jour : « Allez, mettez vos manteaux, on va se la faire, cette balade ! ». Je ne me rappelle plus de la balade en question, mais on a fini par atterrir ici, et avec ma sœur on s’est regardés. Ça sentait le piège, comme les jours où ils nous emmenaient chez le dentiste. Puis finalement la surprise a été bonne, même si j’ai tout oublié les premiers temps.

J’ai mis de côté durant de longues années les maisons qui font peur.

Surtout la nôtre.
Surtout celles des voisins.
Surtout tout le quartier sous la lune.
Les nuits.
Les nuits là-bas étaient étranges.
Et les jours aussi, à bien y réfléchir.
En fait, tout a paru étrange une fois que nous eûmes franchi les limites du quartier, une fois que le ciel s’est obscurci pour toujours. J’avais cinq ans, toutes mes dents de lait et j’avais compris que c’était pas normal. Mais comme tout gamin, j’ai fait comme si j’étais content, et ça rendait mes parents contents. Alors ça m’allait. J’avais ma sœur à embêter et les corbeaux à regarder. Tous les soirs, il volaient dans les cieux gris, sans faire un bruit. Je les observait sans cligner des yeux, de peur qu'ils ne soient plus là d'un instant à l'autre. C'était un spectacle éphémère et je n'avais pas l'intention de le manquer, à aucun moment. Et je ne l'ai jamais manqué jusqu'à aujourd'hui.

Je me souviens, aujourd’hui. Je revois les arbres sans feuilles, jamais, tout au long de l’année. Les oiseaux qui ne chantaient pas. Le soleil qui ne dorait rien. Les nuages constants. Les murs gris de notre maison, les murs gris des autres maisons. Je me souviens de l’école dans laquelle je n’étais pas inscrit. Parce qu’il n’y en avait pas. Je me souviens des chiens noirs qui se baladaient la nuit, montant la garde contre je ne sais quel intrus. Surveillant les maisons du coin. Nous surveillant nous. Je me souviens des maisons, autour de chez nous, dans lesquelles jamais lumière ne fut allumée le soir. Jamais.

Je ne me souviens pas de m’être déjà réveillé par les rayons bouillants d’un soleil de feu, un beau matin. En fait, je ne me souviens pas de m’être déjà vraiment réveillé un jour, là-bas, tout semblait brumeux, les souvenirs sont si flous, quand on est enfant.

Je me souviens du cri de maman juste avant qu’on arrive là quand notre voiture est tombée dans le ravin. Du hurlement de ma sœur cette journée-là. Du silence de mon père. Et de la trouille horrible, de l’urine dans mes pantalons.
Et par dessus tout, je me souviens du défilé des gens, la seule fois où ils sont venus, pour nous souhaiter la bienvenue, ou nous dire au revoir, je ne me rappelle plus.

J’ai mis longtemps à me souvenir, à comprendre que j’étais mort, et que ma sœur, maman et papa aussi.
J’ai mis longtemps à comprendre que les maisons qui font peur n’étaient que les tombes de nos voisins et que… qu’à tout jamais nous vivrons là, ensemble.
Maman dansant avec son verre de vin, papa la dévorant des yeux, ma sœur se cachant entre les tombes et moi, la cherchant en évitant les chiens noirs qui, eux, nous voyaient.

Les maisons qui font peur… ne me font plus peur. J’ai cinq ans, mais j’ai grandi.


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Driller_killer

2023-03-01 20:01:54

Merci Maritza ! cette musique est tellement inspirante TT

Maritza

2023-03-01 17:59:40

Oooh j'aime beaucoup ! D'instinct j'ai cliqué sur la musique et je me suis laissée emporter... bon je lis vite donc forcément j'ai relu aussi xD Bravo !