Horror Stories

Précieuse


J'étais en train de faire mon repassage ce matin là, celui où j'ai pris conscience de la chance que j'avais. Celle d'avoir ma perle précieuse chez moi, dormant dans son joli couffin rose, pleine de santé. Ses petits poings dodus refermés. Ses petites lèvres douces, formant presque un cœur rosé. Elle avait encore l'odeur du liquide amniotique, âcre et chaude. Je savais qu'elle s'effacerait avec le temps et je n'en avais pas envie. Je voyais la petite bosse que faisait le cordon ombilical sous son pyjama rouge. Je voudrais que ce moment reste gravé en moi à jamais. Une telle félicité dans l'ordinaire.

Le bruit de l'horloge ne la dérangeait pas. Et la télévision non plus. Heureusement ! Je ne voulais pas qu'elle entende les horreurs que j'écoutais. Il fallait à tout prix que je la préserve de ce monde barbare. Elle ne devait pas savoir qu'à l'extérieur existaient des gens, des humains qui se comportaient comme des démons.

Je voulais qu'elle devienne une petite fille aimée et aimante. Je voulais pour elle le meilleur et le plus doux des mondes.

Les infos télévisées diffusaient en boucle les mêmes atrocités dans le bruit de vapeur de mon fer et les ronflements légers de mon bébé. Telle banque explosée, tel homme mutilé par son fils, telle tornade dans tel pays... Et l'info horrible dont j'ai baissé le volume, celle qui m'a fait savoir ma chance, celle qui annonçait la mort horrible d'une femme enceinte près de chez moi...On a retrouvé son corps chez elle. Sans bébé. Le placenta sorti de son ventre et reposant sur ses seins... Seigneur... Les seins qui auraient dû nourrir le bébé. Les autorités étaient submergées de témoignages, tout le monde voulait retrouver l'enfant. Un climat de peur régnait.

Je regardais alors ma fille, attendrie et apeurée, une envie subite de la prendre contre moi et de m'enfuir loin, très loin d'ici. Je devais la protéger de tout ça. La nervosité me gagnait, l'angoisse commençait à poindre sournoisement dans ma poitrine. Ma fille remua. Elle allait sûrement bientôt se réveiller et je pourrais la câliner, lui donner le biberon. Changer sa minuscule couche et tenter d'oublier les horreurs du monde. J'éteignis le poste de télévision, préférant entendre mon quotidien.

J'entendais la sirène des voitures de patrouille. Il y avait beaucoup d'agitation à l'extérieur. Cette ambiance me stressait, et avait réveillé ma jolie poupée. Elle poussait des petites plaintes, comme des miaulements qui avaient du mal à sortir de sa gorge. Je la pris alors dans mes bras et la berçait.

Quelqu'un sonna a la porte. Je ne voulais pas ouvrir. Je n'attendais personne. Je n'avais rien commandé. J'avais peur en constatant que la personne insistait. Bébé braillait de plus belle. Le visiteur l'effrayait et j'étais à deux doigts de m'uriner dessus en imaginant le meurtrier ici, devant chez moi, pour me prendre mon bébé.

Soudain la porte explosa dans les hurlements plus prononcés de ma fille. Une équipe de policier, arme au poing, entra en trombe. Je savais qu'ils venaient reprendre ma fille, ma si jolie petite. Je la leur rendis sans résistance, de toute façon elle avait encore l'odeur de sa mère. L'odeur de la mort.