Horror Stories

Take me home


Les cendres puaient. La mort, le sang, la charogne, les tripes nécrosées… Les cendres puaient et tombaient comme de la pluie sur nos corps décharnés, enfoncés dans la terre mouillée et grouillante de rats et de mouches bleutées.

Les corps puaient. Les blessures ouvertes, offertes aux infections, aux bêtes nécrophages, semblaient se foutre de nous sans retenue… Les corps puaient et gonflaient au fil des jours, sous la pluie de cendres et les torrents de larmes.


Je n’avais aucune idée, en arrivant fièrement, le fusil à la main, de l’image qui resterait gravée dans ma rétine pour le restant de mes jours, si tant est que je puisse sortir de ce charnier.


Les obus tombent. Les grenades tombent. Les corps tombent. Je ne sais même plus qui est qui dans cet amas sanglant et putride.

Je crois bien que… Je crois même être le seul en entier. A chialer sous mon casque fendu.


Je maudirai chaque jour celui où j’ai pris la décision « courageuse » de me rendre sur ce terrain, après l’appel à l’héroïsme national. Je maudirai chaque jour d’avoir allumé ma télévision ce jour. D’avoir écouté les informations. D’avoir cru. Cru que nous étions les sauveurs. Cru que ce conflit nous concernait. Cru bêtement ce qu’on nous donnait à avaler goulûment.


Je maudirai chaque jour mon ignorance. De ne pas avoir su lire entre les lignes. D’avoir eu à tuer. Tuer des frères. Des frères qu’on dépeignait comme des ennemis à abattre sans aucune hésitation. Des frères qui eux-mêmes ne savaient pas ce qu’ils faisaient là, devant nous, à nous viser de leur mitraillette enrayée. Je ne suis plus un être humain. J’ai tué parce qu’on me l’a demandé. Et je n’ai aucune excuse, parce que je ne sais même pas pourquoi…


Pour qui. Pour quoi. Pourquoi…


Je ne comprenais même rien à ce qu’il se passait. Je n’ai pas cherché à comprendre. Là, sous la pluie de cendres, sous les bombes, sous les hurlements de bêtes déchirées, je ne me souviens que de ce qu’on nous a dit.


« Battez-vous. Battez-vous pour votre pays. »


Et chacun, dans son camp, s’est battu bêtement pour son pays, dans l'ignorance la plus innocente. De la chair à canon. Voilà ce qu’on était tous. Du bon camp, comme du mauvais… Finalement, nous étions tous là, à crever et à se décomposer. Pour rien.


« Take me home »


… mon cul. Mon chez-moi, je l’verrai plus. Je le sais. Je suis seul dans ce trou. Ma tombe. J’ai cette chanson en tête depuis l’aurore. Le ciel orangé, teinté de cette grisaille de mort. Dans le silence qui précède le feu et les cris.


« Country roads »…


Je chiale. Je serre mon fusil qui se nettoie sous mes larmes. Je n’ai qu’une envie, me relever, sortir de ce cimetière sanglant et fuir. Courir sous les balles. Mourir.


Alors que le bruit se fait de plus infernal, quelque chose tombe sur moi. Quelque chose de mou qui s’accroche à mon casque et achève de le détruire. Un ennemi qui a sauté dans ma fosse.

Je le regarde, sans pouvoir bouger. La peur je crois. Je chie le peu que j'ai mangé depuis des jours, tellement mes nerfs lâchent.


Il me regarde, un grand sourire sur ses lèvres ensanglantées. Son casque sanguinolent laisse voir une blessure. Laisse voir son cerveau luisant et les éclats de grenade enfoncés dedans.

Il me regarde. Il n’a pas sauté dans la tranchée. Il a été éjecté.


Il me sourit encore. Et des larmes coulent sur ses joues boueuses. Il me tend ses bras. Je lui tends les miens. Et il meurt là, dans l’étreinte de son ennemi désigné, le sourire aux lèvres, après avoir chuchoté un mot dans une langue que je ne connais pas. Ses larmes coulent sur mon treillis. Et les miennes les rejoignent alors qu’une explosion retentit juste au dessus de moi.


Les cendres puaient la mort. Les morts puaient la cendre.


« Take me home »…