Joyeux anniversaire de liberté Driller !
auteur : Driller_killer
dernière modification le 2024-08-08 18:18:37
* trigger warning = message d'avertissement
13 ans.
Treize ans que je suis partie de chez mes parents.
Certains connaissent mon histoire en surface. D'autres non.
Pour faire court, pour ceux-là, suite à un malheureux chantage, je me suis retrouvée séquestrée (vraiment je vois pas d'autre mots quand on confisque tes papiers et qu'on te fait surveiller quand tu fais les courses par tes frères en pensant que tu le vois pas mdr), j'ai accouché de mon premier enfant là-bas (enfin, à l'hôpital mais là-bas quoi). Le contexte et les détails sont compliqués, je ne rentre pas dans les détails ici, mais mes mp sont ouverts, pas que je veux pas en parler, je veux juste pas écrire un roman dessus, mais c'était horrible. Voilà.
Donc, il y a 13 ans, le 21 juin 2011 vers 8h30, après une énième "altercation" avec ma génitrice, je profitais de sa sortie quotidienne pour agir. Je prenais mon fils, une valise avec quelques affaires à lui, couches, lait, vêtements au hasard, la poussette et nous voilà sur les routes devant mon frère ébahi qui ne savait pas quoi faire de la situation. Cheh.
J'ai couru sans regarder où j'allais. Mon seul but : m'éloigner. Un bus s'est arrêté en me voyant sur la route, en pleurs. Il m'a conduite sur Lille gratuitement, moi il me restait 13 euros dans la valise, je n'avais pas de compte bancaire, juste un livret sur lequels "ils" avaient procuration. (ouais, le bébé et l'argent du bébé quoi, vous commencez à voir le truc hein ?)
Ce 21 juin a été la fin d'un cauchemar.
Mais...
On dit : liberté = renaissance.
Mais renaissance = réapprentissage.
Et croyez-moi, encore aujourd'hui j'apprends la vie, les gens, le monde. Et parfois, ce monde me mange toute crue. Et c'est loin d'être facile, même si ça le devient un peu plus chaque jour.
Le premier soir, les premiers jours dans le foyer d'urgence pour sans-abri est le temps de la stupeur : "qu'est-ce que j'ai fait ? pourquoi ? qu'est-ce que je vais devenir ? je l'ai vraiment fait ? mais je suis folle ! etc". Puis rapidement : "on va me prendre mon fils" (rassurez-vous, on ne l'a jamais fait, il a toujours été avec moi)
Je le regardais, ce bébé, sans réaliser qu'il était vraiment là, à moi, avec moi, dans ses petits pyjamas bleus avec ses grands yeux bleus là. Ses grosses joues à croquer.
J'essayais de ne pas craquer (ne pas rentrer) quand ils m'écrivaient pour me dire de revenir, que j'étais une mauvaise mère, que j'avais oublié ses doudous et tout... dur, vraiment dur.
Après, ce sont quelques semaines où le temps flotte. Il ne fait ni beau, ni moche. Il fait. La terre tourne.
Les messages de "reviens sinon...", ne durent pas longtemps puis s'effacent doucement et la peur de croiser leur voiture s'atténue légèrement (mais vraiment légèrement, pendant 8 ans j'ai surveillé les routes et les voitures de leur marque jusqu'à ce que j'apprenne qu'ils ne l'avaient plus, la voiture en question)
Après, une fois installée dans un foyer maternel pour quelques années, le temps de l'apprentissage commence. Pas celui de maman, je gérais, sans m'en rendre compte. Mais celui de la vie, des autres.
Apprendre à ne plus trop lire le visage des gens, à ne plus lire les expressions, ne plus tenter de savoir si derrière ces yeux que je croise il n'y a pas de colère, de déception, tout ça, décrypter les "besoins" à travers leur regard : je devais arrêter, vraiment. Aujourd'hui encore, c'est difficile. J'vous jure ça rend fou.
Apprendre qu'un visage fermé ne veut pas dire que je vais souffrir, que la personne en face a droit à ses humeurs et ses états d'âme, que ce n'est pas forcément de ma faute.
Apprendre à dire non sans avoir peur, à dire non tout court même.
Apprendre à prendre des décisions pour mon fils, pour moi, pour nous.
Apprendre à ne pas toujours m'excuser pour le moindre truc, à ne pas pleurer dès qu'on me parle gentiment ou qu'on me montre mes torts, à accepter les règles, les ordres éventuels (je suis en foyer, normal).
Apprendre à montrer mes émotions, à ne plus faire le robot qui sourit systématiquement à tout et tout le monde du matin au soir. Parce que ouais, fallait sourire beaucoup, là d'où je venais.
Apprendre à se connaître soi-même, découvrir ses propres goûts, musiques, films, livres... et surtout, l'assumer.
Apprendre à avoir le droit de ne plus les aimer. Apprendre à canaliser ces émotions qui empoisonnent.
Apprendre à laisser le papa avoir son rôle malgré ce que la vie nous a fait. Réapprendre notre relation, laisser le temps aux choses de guérir après les horreurs qu'on nous a infligées. Apprendre à attendre.
C'était aussi le temps de refaire les papiers. Aller au commissariat pour annoncer la perte de ceux-ci afin de pouvoir les refaire. Des semaines de procédure. Pareil pour le livret de famille, le livret de naissance de mon fils, contacter l'ancien médecin pour ses vaccins et tout le reste. Des semaines de trajet à droite, à gauche, d'attente.
Puis j'ai eu mon premier logement en autonomie, seule avec mon fils. Et là c'est apprendre la solitude. Les voisins. Et souvent, je verrais la vie en noir. Heureusement que j'avais mon enfant, qui est toujours notre rayon de soleil.
Et pendant ces temps, c'est sursauter au moindre bruit. Sursauter dès qu'une personne proche fait un mouvement brusque. Pleurer quand il y a une musique qui rappelle un mauvais souvenir de là-bas. En voyant des objets qui ont servi à me faire du mal, ou qui rappellent un moment spécifique. Je me faisais du mal pour extérioriser, parce que je ne connaissais que ça. C'est passé. Tout finit par passer.
Et le papa a été si patient, si doux et si patient, croyez-moi. Si le mot "ange" avait un visage, ce serait le sien.
Il m'a appris l'amour. La douceur. L'accompagnement sans arrière-pensée. L'humanité. Merci chéri.
J'ai mis des années à oser mettre mon nom sur le net. J'avais peur qu'ils me cherchent et me trouvent. Aujourd'hui, je suis plus zen face à ça. Je sais que je serais capable de nous protéger maintenant. Et croyez-bien qu'il ne suffit pas de dire "je veux". Pas quand l'emprise et la peur ont été le moteur de vos jours toute votre vie durant avant la Fuite.
Encore aujourd'hui, j'ai des suivis réguliers en psychothérapie. Des traitements d'appoints pour les angoisses. J'ai des problèmes pour sortir de chez moi, des soucis de santé liés à tout ça. Je suis quelque part entre deux mondes : celui d'avant, celui de maintenant, avec comme une brume au milieu. Chaque année, celle-ci se densifie pour m'éloigner et ça devient plus vivable, plus respirable.
Je ne peux toujours pas entendre certains titres de musique. Je dois apprendre à mes enfants à vivre, grandir, aimer, être aimés, respecter, être respecté, s'épanouir... tout en apprenant les mêmes choses qu'eux.
Je pense m'en sortir. Ils ont l'air heureux en tout cas.
Et aujourd'hui je me souhaite un bon anniversaire de la liberté, durement acquise. Ouais Driller, tu l'a fait !
Merci chers lecteurs d'être encore là, jour après jour.
Vous êtes des rayons de soleil vous aussi.
La bise noire !