Horror Stories

1...2...3 soleil


(Une meilleure immersion ? à lire avec "When it's cold I'd like to die de Moby et Mimi Goese ici)

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J’ai cru ressentir quelque chose. C’était comme la caresse du vent un soir d’été, quand on a tant transpiré dehors. Le vent tiède qui assèche un peu la sueur et l’apathie d’une journée à cuire sous le soleil, seul souverain du monde… Seul souverain.

J’ai cru ressentir si fort ce vent sur ma peau brûlée. Mais ce n’était pas ça. Ça ne serait plus jamais ça. J’ai pensé si fort à cette brise à peine chaude, si fort. Et le néant m’a rit au nez.


Le noir. La brisure d’une vie émiettée en train de flotter ici, là, ailleurs, partout et nulle part.

J’aimerais avoir des larmes en cet instant, pour montrer au noir qui danse que j’avais encore quelque chose à offrir, même si ce n’étaient que des pleurnicheries. Des larmes, la vie.

Pourquoi, à qui, comment… Inutile. Offrir quoi… nous avions tout donné, pour tout détruire. De toutes nos forces. De toutes nos âmes.


J’ai cru ressentir quelque chose dans ma bouche. C’était comme le goût de la glace à la fraise offerte par papa un soir sur la digue d’une plage. Une glace que je mangerais en lapant comme un petit chien les côtés qui dégoulinent, en regardant l’horizon, les vagues qui chantent et les oiseaux qui volent. Les mouettes, les goélands… et j’ai cru voir papa sourire.

Je n’aurais plus jamais ce goût de fraise sur la langue.

Parce qu’il n’y a plus de fraises. Il n’y a plus de glace. Il n’y en aura jamais plus.


J’ai cru ressentir quelque chose dans mon coeur. Comme les rires de mes sœurs quand on jouait au ballon dans le jardin. Comme les soirs où papa nous faisait des blagues. Comme les jours où maman nous chatouillait. Comme toutes ces fois où mes enfants ont fait des bêtises. Comme cette fois où il étaient tant effrayés, en larmes en montrant le ciel, où je leur ai dit qu’on allait jouer au meilleur jeu du monde. Grandeur nature.


1…

2…

3…

Soleil.


J’aimerais ressentir la douleur. Celle de blessures débiles comme quand j’ai marché sur un clou, ou quand je me suis battu avec les gars du lycée après qu’ils nous aient défiés, bêtement, sottement, humainement… humainement.

La douleur morale. Celle d’une séparation forcée. D’une amitié brisée. D’un deuil horrible. Une douleur qui rend vivant, qui fait avancer, qui fait pleurer… qui dit que nous respirons encore, nous.

C’était avant. Mais j’aimerais tant de nouveau ressentir le fracas de mon coeur qui saigne, au moins une fois. Pour me souvenir. Me souvenir de ce que ça fait. D’être vivant. Me souvenir du chagrin incommensurable que j’ai ressenti quand j’ai envoyé mes enfants vers le soleil.


Tout, plutôt que de flotter ici, à regarder le monde en poussière.

Tout, plutôt que de errer partout, sans rien attendre, sans rien voir, sans rien entendre, sans rien ressentir, sans personne à pleurer, à qui parler, avec qui rire, à qui transmettre un savoir…

Tout, plutôt que la fin de notre monde.


J’ai cru ressentir quelque chose sur ma peau calcinée. Déchirée. Je suis mort, je suis là. Je ne vois pas. Je n’ai même pas eu le temps de voir le soleil exploser. Je me souviens juste de la lumière et de la plénitude. D’avoir flotté.

Je flotte encore, ici, là-bas, en bas, en haut, je suis partout autour du vide, dans le vide.


Je suis le vide.