Horror Stories

Une bonne maman


Apparemment, je n’ai pas pris mon café ce matin. J’ai les yeux bouffis, la tête dans le pâté et le tournis. Je me lèche mes lèvres sèches et regarde ma fille Adeline, que je viens seulement de remarquer et qui mange face à moi. Quand est-ce que je me suis levée ? Quelle heure est-il ? Aucune idée. Il va falloir que je lève un peu le pied au travail, je suis décalquée.

Et ça, ce n’est bien ni pour moi ni pour ma fille.

C’est qu’elle est coriace à éduquer, ma fille. Il faut que je sois derrière elle un maximum.

Ma fille, mon ange.

Tellement mignonne quand elle ne fait pas sa tête de mule ! Je souris intérieurement à cette idée. Je me lèche à nouveau les lèvres avant de parler, la voix enrouée et la gorge curieusement douloureuse.


— C’est bien ma chérie, tu as bon appétit aujourd’hui !


Je suis tellement crevée que j’ai du mal à garder les yeux ouverts. Et en plus j’ai mal au bras, j’ai encore dû dormir de travers. Je devrais changer de matelas, on ne sait jamais, des fois que ce soit seulement ça et pas le fait que je dorme seule désormais.


— Oui Maman, c’est délicieusement satisfaisant.


Je lui souris. Ces quelques mots valent bien toutes ses années à lui crier dessus pour qu’elle termine son assiette et mange proprement !

Je continue de l’observer, de contempler ma réussite. Bien que son père nous ait quittées et malgré le fait que je sois seule pour l’élever, j’ai réussi, je suis une bonne mère. Ma fille est parfaite, mon portrait craché : belle, et bien éduquée.

Mais alors que je l’observe ainsi, un détail vient peu à peu perturber mes pensées déjà embrouillées. Puis alors que je réalise ce que je vois, une bouffée de colère m’envahit subitement et je hurle :


— Adeline ! On ne met pas ses coudes sur la table quand on mange !


Elle me fait un sourire charmeur. Quelle petite peste ! Sale pute ! Elle pourra bien me faire tous les sourires charmeurs qu’elle voudra, elle devrait bien savoir depuis le temps que ça ne marchera pas ! Quand on est une jeune fille bien élevée, on ne met pas ses coudes sur la table et c’est tout !


— Adeline ! Ton coude !


Ma voix se casse malgré moi. Pourtant je n’ai pas souvenir d’avoir tant crié hier ? Quant à ma fille, elle ne bouge pas et me regarde avec un petit air satisfait. Mais c’est qu’elle me défie en plus cette grognasse ! Outrée, je cherche à me lever pour ôter moi-même ce coude insultant d’une bonne claque, mais mon corps reste avachi. Je ne réussis qu’à me tortiller.

Alors que je m’apprête à lui hurler de nouveau dessus, elle me répond tranquillement :


— Maman, je n’ai pas mon coude sur la table, regarde mieux.


Je regarde. Elle se fout de ma gueule ou quoi ? C’est bien un coude que je vois ?


— Ce n’est pas mon coude Maman, c’est le tien.


Quoi ?

Regardant alors plus attentivement malgré mes difficultés à garder mes yeux ouverts et réactifs, je remarque un petit détail. Mais oui, ce n’est pas le coude de ma fille qui se trouve sur la table, c’est la viande qu’elle est en train de déguster. Viande qui ressemble, effectivement, fortement à un coude. Un bras, un coude, et un avant-bras plus précisément. Grillés comme du poulet.

Je ne comprends pas. Ils font des poulets humains maintenant ? Et puis pourquoi ma fille mangerait un coude de poulet humain ? Vraiment, il me le faut ce café.


— Tu ne comprends toujours pas Maman chérie ?

— Pardon ? Comprendre quoi ?

— J’ai dit que c’était ton coude, Maman.


Mon coude ? Oui, c’est vrai que c’est ce qu’elle a dit. Pourquoi je ne réussis pas à me réveiller ce matin ? Mon coude ? Lequel, le droit, celui qui me fait mal ? Je tourne la tête vers mon bras droit, celui qui me lance depuis tout à l’heure.

Il n’est plus là. Pas plus que mon bras ni mon avant-bras. Et alors je comprends. Je crois que finalement je n’ai pas été une très bonne maman. J’aurais dû lui expliquer, qu’il ne faut pas manger les gens.

Sans doute que j’ai parlé à voix haute, car à cette remarque, Adeline me fait un large sourire et me répond :


— Ne t’inquiète pas Maman, tu n’as peut-être pas toujours été une bonne maman, mais crois-moi, aujourd’hui, tu l’es, et même plus que bonne : tu es délicieuse !