Horror Stories

Vendredi mort


Immuable.

Le temps était ainsi. Ma vie était ainsi. Les choses ne bougeaient pas. Je me levais, je me couchais, et, entre deux, parfois, je vivais. Puis vendredi est arrivé. Aujourd'hui.


Ce n'est plus pareil. Il y a quelque chose dans l'air que je n'arrive pas à expliquer. C'est infime. Une perception quelque part loin, et si proche à la fois.

Dans mon fauteuil, sous la lune, emmitouflé sous une couette épaisse, je regarde dehors. Les arbres sont calmes, les chiens aussi, pour une fois. Depuis que la nouvelle locataire du dessus est arrivée. Oui, ça a changé depuis son arrivée. Vendredi. Aujourd'hui. Ce matin. La femme, cachée sous son long manteau à capuche, avait regardé longuement le bâtiment, mon immeuble, et s'était engoufrée pour ne plus en sortir, en silence. Et tout de suite après, les chiens se sont tus.

Je bois une gorgée de ma tisane. La lumière est éteinte. Je n'aime pas les ampoules si crues. Les bougies dangereuses. J'aime le noir, j'ai toujours aimé l'obscurité. Pourtant ce soir, elle me fait peur. Pour la première fois, je ne suis pas chez moi. Je suis chez lui. Le noir. Nous ne sommes plus amis. Le sentiment est fort et me met mal à l'aise.


Samedi. Le réveil a été rude. Je fais du café et je regarde par la fenêtre. L'aube tarde, les rayons peinent à percer la cime des grands arbres devant l'immeuble. l'herbe ondule sous un vent qui m'a l'air fort. Le silence. Le silence d'un samedi vide et triste. Le sentiment de malaise n'est pas parti. Les chiens n'aboient pas. Les gens ne bougent pas. Cette dame, là, sur le banc, n'a pas fait un mouvement depuis cinq minutes...

Le temps. Le sentiment. La solitude. J'ai envie de pleurer, alors je vais le faire, seul sur mon canapé.

J'entends maintenant du bruit, d'en haut. Un frottement régulier, sourd. Comme si une main géante caressait le sol en bois au dessus de ma tête. Cela dure. Je reste là, dans mon fauteuil, ma tasse à la main, aux aguets. Ce bruit me fait peur.


Dimanche. Dimanche. Dimanche.


Lundi. Je ne me souviens de rien. Je me rappelle que samedi soir je me suis couché, avec ce sentiment de malaise qui ne m'a plus quitté depuis vendredi. Je me souviens du bruit au plafond. Des chuchotements derrière mon dos. Des courants d'air et des rideaux qui volent. Je me souviens des voix, des voix qui chantaient dans ma tête et des ombres qui dansaient sur les murs, éclairés par je ne sais quelle lumière étrange. J'avais tout éteint.


Mardi. Je suis dans ma salle de bain et je n'ai aucune idée de pourquoi j'y suis. Je suis nu. J'ai faim. J'ai mal au ventre. Et les chuchotements ne sont pas partis. Le bruit au dessus, la caresse du noir, est encore là, toujours. Les chiens n'ont pas aboyé depuis vendredi. Les chiens n'aboieront plus, je crois. Je n'arrive pas à sortir de chez moi, parce que je ne sais plus où est ma porte.


Mercredi. Je voudrais entendre le bruit de mes voisins. Leur musique. Leurs pas si lourds. Leurs cris. Leurs rires. Je n'entends que le silence et mes oreilles bourdonnent. Il fait sombre depuis des jours ici. Sombre et froid. Je suis toujours seul, et j'ai si faim. Je n'ai plus rien. Je ne veux plus rien. Respirer me fait mal, je sens que je ne suis plus à ma place. Je suis chez elle, l'obscurité. Je veux ouvrir la fenêtre, mais je ne la trouve plus. Je suis enfermé dans une cage, sans air...


Jeudi. Je ne dors plus. Je n'y arrive pas. Plus. Le frottement au dessus a cessé depuis longtemps. Tout juste de temps en temps un chuintement vient me dire bonjour, comme si mon plafond essayait de me parler, puis plus rien. Dehors rien ne bouge, je peux voir, même sans fenêtre. La dame sur le banc n'a pas frémit depuis des jours, son visage vide me fixe. Le vent n'existe plus. Le soleil n'existe plus. Les gens non plus. Juste la dame à la capuche. Je sais qu'elle m'épie dans le coin de la pièce...


Vendredi...


Samedi...


...