Horror Stories

ultraviolence


Aujourd'hui est un jour d'été étouffant, comme tous les autres, au final. Mais aujourd'hui, c'est également le jour de mon mariage. Je vais épouser Jim, l'homme que j'aime plus que tout au monde. On s'était rencontrés dans une fac de littérature, et, très vite, on a tissé des liens forts. Si forts qu'ils se sont unis pour n'en former plus qu'un, unique et passionnel, entre deux personnes heureuses.

Toutefois, je ressens du stress, à l'idée de me lier pour toujours avec Jim, peut-être le trac, ou une peur infondée, sans doute.

Dans ma robe de mariée, je m'installe à même le sol, sous un pommier, dans un champ désert. Nous avions pris l'habitude d'aller là, pour nous reposer, nous voir, rien que nous, à l'abri du bruit ambiant de la ville. Et à la fin, on se retrouvait systématiquement sous cet arbre, profitant tous deux du soleil doux, et de l'air pur de la campagne, ma tête posée sur ses genoux, en train de tresser une énième couronne de fleurs. Je sors une orange de mon petit sac à main, et je commence à l'éplucher.

L'orange est mon fruit préféré, sucré, avec une pointe d'amertume, avec sa belle couleur chaude ; et surtout, si on met un quartier d'orange dans la bouche, ça nous fait un sourire radieux de vitamines.

Parfois, dans ces moments-là, on se compare à Katniss et Peeta, parce qu'à la fin du troisième volet d'Hunger Games, ils sont tous les deux dans un champ, avec un beau soleil, et deux enfants.

J'ai toujours voulu avoir des enfants, j'ai la fibre maternelle en moi, j'aime les enfants et je ferais tout pour qu'ils soient heureux. J'en avais déjà parlé à Jim, de cette idée, mais il m'a traité de « sale folle », et m'a dit que si un jour, j'étais enceinte sous son toit, il me quitterait de suite. Il ne pensait pas ce qu'il disait, et puis, il m'aime. C'est sûr.

Il reste encore 3 heures avant que la cérémonie ne débute, tandis que lui est à son enterrement de vie de garçon, moi, je suis là, en pensant à nous, à nos souvenirs d'autrefois, parce qu'une étape importante va se passer bientôt pour nous deux : on va passer du statut de couple à celui de jeunes mariés, c'est... si étrange de savoir que j'appartiendrais à quelqu'un, et que ce quelqu'un m'appartiendra pour la vie. J'en ai longtemps rêvé, du jour où je concrétiserais mon amour avec mon prince charmant, petite. J'aimais beaucoup regarder des films Disney, de princesses qui vivent une idylle parfaite et sans aucune tâche d'ombre avec leurs amants, et qui, à la fin, finissent mariés et heureux.

La fin de mon histoire de princesse, c'est bientôt, je deviendrais la reine dans le cœur de mon prince. Oui, je suis la princesse, et j'espère qu'il comprend mes lignes blanches de bonheur.

Au final, le mariage, est-ce que ça va changer quelque chose à notre vie de couple ? Non, je ne pense pas, enfin, rien ne changera. Toujours la même routine, pourquoi ça changerait ? J'essayerais d'être moins idiote et maladroite, ça nous aidera pour notre vie commune. Je fais souvent des gaffes à la maison : par exemple je ne lave pas assez bien le sol, le plat n'est pas assez cuit, j'achète du lait entier au lieu de demi-écrémé, je lui ai acheté un costard gris alors qu'il en voulait un noir... La liste est longue. Heureusement, il me corrige, sinon que serais-je aujourd'hui ! Je n'ose pas l'imaginer. Heureusement qu'il me remet sur le droit chemin, c'est parce qu'il m'aime. Quand il me punit, je le sens comme un vrai amour, c'est Jim qui me l'a dit. Mais l'aimer n'est jamais assez, je m'en veux de ne pas pouvoir l'aimer autant qu'il le veuille...

Il me reste une heure et demie avant de devoir partir pour m'unir jusqu'à que la mort nous sépare avec Jim.

Jim. Il est si beau, si charismatique, il dégage un charme incroyable. Il a une éloquence élégante quand il s'exprime, ses mots sont puissants, mais doux, on a envie de l'écouter jusqu'au bout. S'il le voulait, il pourrait se mettre tout le pays dans la poche, et diriger ce qu'il veut. Je ne comprends pas, d'ailleurs, comment il a pu, parmi toutes ses admiratrices, choisir la fille timide, à l'écart de tous, qui avait peur de tout, qui...

C'était un soir de février. Le mois sans doute le plus déprimant de l'année, il fait froid, on a faim, et malgré le fait que ce soit le mois le plus cours de l'année, il n'a rien de particulier. On sort de janvier, un mois froid, et glacial, pour lequel on a encore le goût des fêtes de fin d'année, dont on voudrait prolonger les souvenirs jusqu'au plus tard possible ; et on oublie tout arrivé en février. Et... Et là, je n'avais plus aucune raison d'être joyeuse, malgré de nombreuses tentatives.

Alors que j'avais tenté de sauter le pas, de partir pour de bon, je sentais mon corps s'évader, peser léger, me sentir libre, une main m'avait rattrapée : c'était Jim. Il me tenait par son bras droit, et mon corps pendait au-dessus du vide.

« Eh, ne refais plus jamais ça, s'il te plaît, je ne veux pas te perdre. »

C'est à ces mots-là que je me suis raccrochée cette nuit, et qui m'ont fait tenir bon jusqu'à maintenant.

Nous avons fini, après nos études, par emménager ensemble. Mon monde n'est plus que lui, je ne suis plus rien sans lui. Ma vie sans lui me semble impossible. Je n'ai plus de famille, perdue il y a longtemps, dans un accident de voiture où le conducteur était ivre, avec ses amis. Mes parents n'ont pas tenu le coup, transpercés en plein ventre. Étant petite, j'étais sur la banquette arrière, et je m'en suis bien tirée, seulement une jambe cassée. Mais j'ai toujours cette horrible scène dans mon crâne, qui tourne encore et encore, comme un film mis sur répétition.
Mes amis ? On a déménagé loin d'eux, et je n'ai pas essayé de renouer contact avec, c'étaient des hypocrites, de toute manière, qui, au lieu d'être heureux pour moi, me disaient de me séparer de lui, que Jim était toxique pour moi, qu'il ne faisait que détruire ma vie et autres fadaises... Je ne me porte pas plus mal sans eux. Ils se disaient inquiets pour moi, mon œil oui.

Je prends le dernier quartier d'orange, et le jette dans ma bouche. Je le croque et son jus sucré-amer vient de disperser dans toute ma bouche. Mmh, c'est bon. Il me reste trente minutes avant de devoir y aller.

C'est drôle, je trouve. Comment une personne sensée peut trouver Jim toxique, rien qu'une seconde ? C'est l'homme parfait, idéal, celui dont tout le monde rêverait. Il est doux, la preuve, quand il me punit, il me dit des mots doux pour que j'ai moins mal ! Quand il le fait, il fait bien attention à ce que je ne saigne pas trop, aucun mari n'aurait fait ça ! Quand les autres femmes se font punir, leurs hommes ne sont pas aussi gentils que Jim ! C'est une certitude. Tout le monde se fait remettre en place, non ? L'homme est supérieur à la femme, elle doit à l'homme reconnaissance et doit se plier à lui, c'est Jim qui me l'a dit. Et si c'est lui qui me le dit, c'est que c'est vrai.

J'éparpille les restes d'écorce de mon orange autour de moi, avant de me lever. Il est bientôt quinze heures, il faut que je me dirige vers l'église. C'est Jim qui a choisi cette église. C'est là où a eu lieu notre premier baiser. Je n'étais pas forcément pour, comme l'endroit est isolé, et assez sale, mais comme je n'ai pas été sage, la semaine où on choisissait le lieu, j'ai dû me plier, même si j'aurais voulu me marier dans une mairie.

Je suis arrivée.
Avant d'entrer dans l'église, je vois le magnifique buffet proposé pour le mariage, ainsi que le carrelage neuf qui fera office de piste de danse. Ah, ça y est, je le vois. Jim se tient près de l'estrade où un pasteur devait lire la Bible, accompagné d'un prêtre, qui m'attendent sûrement. Des chaises blanches en plastique ont été installées pour les invités, tous des amis, proches ou connaissances de Jim. Ils sont assez nombreux, et habillés élégamment.

Un homme, dont je ne connais pas l'identité, mais qui tient un bouquet de fleurs doit être celui qui m'accompagnera jusqu'à Jim. Je prends donc le bouquet, et je m'avance vers lui, avec cet étranger. Je suis enchantée, le décor, malgré le fait qu'il soit pourri par les insectes, est joli, et la lumière du soleil qui tape, à travers les vitraux de l'église donne presque à mon Jim une image angélique, avec ses cheveux blonds, et ses yeux bleus-gris. Je suis heureuse. Heureuse de l'épouser, et d'être avec lui.

En face de lui, son sourire se transforme en un regard, me jugeant de la tête aux pieds.

« Tu aurais pu faire un effort pour la robe... Tu t'es vue ? Avec ce décolleté, tout le monde peut voir ta poitrine.
— M-mais enfin, c'est t-toi qui m'a dit de...
— Jamais je n'aurais dit une chose pareille, enfin, c'est pas grave, on verra ça plus tard.»

Je suis déçue, je pensais que ma robe lui ferait tourner de l'œil, il m'avait dit qu'il aimait ce type de décolleté, j'en suis sûre... De plus, je n'ai jamais aimé la foule, alors voir autant de personnes assister dont je connais le nom assister à un évènement aussi important dans ma vie me gène au plus haut point. Nerveuse, je commence à tordre mes cheveux, n'attendant que la phrase magique pour me libérer d'un poids.

« — Monsieur Jim Carrey, voulez-vous épouser ici présente Lana Anderson ?
— Oui, monsieur le prêtre, je le veux.
— Madame Lana Anderson, voulez-vous épouser ici présente Jim Carrey ?»

Je marque un temps de pause, le temps d'arrêter de stresser et de pouvoir formuler ma réponse le plus clairement possible.

« Oui, je le veux.
— Très bien, alors les mariés peuvent s'embrasser.»

Et on s'embrasse tendrement. Le reste du mariage se passe bien, et on reste jusque tard la nuit, avant de rentrer vers deux heures dans notre foyer. Dès qu'on passe le seuil de la porte, et que la porte est bel et bien fermée à double tour, Jim me porte jusqu'au mur, près des tableaux de sa riche famille.

« Hein, non mais ça ne va pas ?! C'était quoi cette tenue horrible ?! Tu as cru que tu étais une p*** ou quoi ??! Et en plus, quand le prêtre t'a demandé si tu voulais m'épouser ou pas, c'était quoi ce temps d'attente interminable ?!?!
— M-mais chéri, ça n'a duré que 3 secondes pas plu...
— Je m'en contre-fiche, tu m'as foutu la honte, le jour de mon mariage, tu es contente ?? Plus jamais tu ne me fais ça, compris ?!
— O-o-oui, d-désolé mon amour...
— C'est ça oui, tu peux être désolée ! Déshabille-toi, tout de suite.
— Oui.
—Tourne-toi, le dos vers moi.»

Bon, c'est ma faute, je l'ai cherché, il va me punir, c'est normal. Je dois me faire redresser.

« Ahah, alors comme ça tu aimes bien les décolletés ? Ouais, tu vois quelqu'un d'autre, c'est ça ?
— Q-que q-quoi, non enfin !
— C'est ça, allez prends ça !

Il s'est alors mis à me frapper fort, avec sa ceinture de cuir.
Il me blesse, mais je sens cela comme du vrai amour.

« Mmh, mais regarde-toi sale cochonne ! Tu es toute mouillée, t'aimes ça hein ? Dis-moi que tu aimes ça.
— O-oui, j'aime ça.
— Ahah la s*****, même quand on te frappe tu es excitée, comme t'aimes autant ça, je vais te donner du plaisir.»

Il me frappe encore avec sa ceinture, accompagnant cela avec des coups de reins. Jim m'a dit que j'aimais bien ça, alors, si c'est lui qui me l'a dit.
C'est Jim qui me l'a dit.

« Comme tu as osé m'afficher devant tous mes proches, il est normal de te punir avec une manière plus poussée, non ? Tu n'es pas d'accord avec moi ? Dis que tu es d'accord avec moi.
— J-je suis d'accord avec toi, J-Jim...
— C'est bien, c'est ce que je voulais entendre, donne-moi tes mains, je vais les attacher. Voilà, comme ça, et c'est bon. Maintenant, comme tu ne m'aimes pas assez, comme tu m'as affiché devant plus d'une centaine de personne, je vais marquer au couteau ton nom sur ta chaire. T'es prête, mon amour ?
— Que- Quoi, non Jim je ne veux pa-AHHHH !»

Jim commence alors son art, il maîtrise le couteau et moi je suis la pierre qu'il taille. Je crie de douleur, j'ai mal, ça fait mal. Du sang coule, et, lettre après lettre, on peut voir apparaître "Jim Carrey" en grand.
L'aimer n'était jamais assez.

«Et maintenant, plante ce couteau dans ton coeur si tu m'aimes.
—Mais, si je fais ça, je vais mourir, non ?
— Fais-le si tu m'aimes, si tu ne le fais pas, ça veut dire que tu ne m'aimes pas. Ça ne fais pas mal, ne t'inquiètes pas.»

J'approche alors le couteau de mon coeur, parce que je l'aime.

Je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime, je l'aime.

Et il m'aime, lui, non ?
Je transperce le couteau à travers ma peau et mes poumons, mais au lieu de la promesse de Jim qui me disait que je n'aurais pas mal, je ne fais que crier, agonisant dans une mare de mon propre sang.

«Je t'aime, Jim.»

Et je ne vois plus rien ensuite.

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« He hurt me but it felt like true love

Jim taught me that

Loving him was never enough

With his ultraviolence »


- Ultraviolence, Lana Del Rey