CALENDRIER - 9 décembre
[Texte de Noona pour le calendrier de l'avent ]
CE PETIT CHEMIN
La nuit était glaciale. La noirceur du ciel reflétait l'inhumanité qui régnait sur Terre. Le vent qui soufflait sur les branches d'arbres desséchées murmurait un chant lugubre. Dans les buissons, des feulements de chat faisaient sursauter Juliette. Elle avançait prudemment sur l'allée couverte de gravier blanc. Le faible éclairage des réverbères projetait des ombres fantomatiques tout le long du chemin. Juliette pensait à ses parents. Ils devaient être tous les deux rentrés à cette heure tardive. Elle était pressée d'arriver chez elle, de retrouver la douceur de son foyer. Ce décor lugubre autour d'elle l'angoissait.
Peu de monde empruntait ce passage, principalement pour deux raisons. Premièrement parce qu'il n'était pas si connu. L'entrée était censée être protégée par un grillage que les voyous du coin avait forcé depuis longtemps. Juliette l'avait découvert un soir où elle rentrait tard d'une soirée entre amis. Elle voulait se dépêcher car, à l'époque, elle n'était pas encore majeure et ses parents étaient assez stricts sur ses heures de sortie. Elle avait hésité un peu à cause du panneau d'interdiction, puis s'était dit que personne ne la verrait dans l'obscurité et que ça lui éviterait peut-être de se prendre un savon. Elle avait gagné une bonne dizaine de minutes en coupant par-là si bien que, les fois suivantes, elle eut du mal à résister de nouveau à la tentation, jusqu'à ce que cela devienne une habitude et qu'elle ne se pose même plus la question.
L'autre raison était que, même lorsqu'ils connaissaient son existence, les gens ne s'y risquaient pas. Les dealers venaient y faire leurs affaires chaque soir et personne n'avait envie d'y être mêlé. Il y avait aussi les divagations de « la folle du troisième », une pauvre dame qui arrosait tranquillement les plantes sur son balcon le soir où un terrible drame était survenu. Elle avait assisté à une aggression sur ce chemin que Juliette aimait tant. C'était elle qui avait prévenu les secours, mais malheureusement ils étaient arrivés trop tard pour sauver la victime. Depuis lors, elle avait perdu l'esprit, racontant à qui voulait l'entendre des histoires de revenants. Si les gens n'y croyaient guère, ses histoires avaient au moins le mérite d'effrayer les plus jeunes qui évitaient cet endroit. La pauvre. Juliette avait beaucoup de peine pour elle. Que personne ne la croit était une chose, se moquer d'elle de la sorte en était une autre. « Une si gentille dame », pensa la jeune fille, « J'irai la saluer bientôt. ».
Le bruissement des feuilles faisait frissonner Juliette. Elle entendit des bruits de pas. Espérant de toutes ses forces que ce soient les siens, Juliette s'arrêta, mais le crissement du gravier continua. C'est alors qu'elle se souvint de l'homme au chapeau, de ses doigts qui pressaient sa gorge, de son haleine fétide... Elle se retourna pour voir qui la suivait. Une femme hurla dans la nuit avant de s'enfuir. La folle du troisième était à sa fenêtre, Juliette lui fit de la main, elle lui répondit. La jeune fille était probablement la seule à savoir qu'elle avait toute sa raison, et la gentille dame probablement la seule à la voir. La silhouette de Juliette continua sa route, flottant à une trentaine de centimètres du sol, effrayant quiconque se risquerait à emprunter le raccourci qui l'avait menée à sa perte cinq ans auparavant.