Fin du monde
auteur : Driller_killer
dernière modification le 2023-06-14 13:31:19
* trigger warning = message d'avertissement

Tandis que le ciel éructait ses tourments dans un assourdissant geyser de feu, l’homme, seul et bientôt mort, tendait la tête vers lui, agonisant.
Les pierres fracassaient les terres autour, les flammes consumaient l’espace sans retenue et l’homme pleurait les yeux secs.
Tandis que la terre mourrait, l’homme sur la colline ravagée eut la vision, brève, chatoyante, de sa femme et sa fille sous les décombres d’une maison ruinée. Cendrée. Sa femme en flamme, sa fille évaporée, ne restait d'elle qu'un corps en cendre, des os aussi frêles que des brindilles.
Tout s’était passé si vite.
Il y eut d’abord un hurlement venu d’ailleurs. La sirène des pompiers. Puis un grésillement dans la télévision bloquée sur une chaîne musicale. Les trois personnes de la famille, papa, maman et la fille se regardèrent stupéfaits quand l’image du clip en cours s’évanouit dans un fondu de neige insolite, comme sur une télévision à l'ancienne et qu’un communiqué apparut. Puis enfin, l’avertissement. Une attaque avait lieu, les bombes nucléaires étaient déjà dans les cieux. Il ne restait que cinq minutes avant les impacts sur le territoire. Cinq minutes pour calfeutrer les fenêtres, les portes, pour se rendre à la cave à toute vitesse, pour mettre des vêtements blancs, le plus pur possible et pour tenter de trouver de quoi remplacer les comprimés d’iode réservés aux habitants près des centrales. Du sel ? Du dentifrice ? La panique empêchait les parents de réfléchir et les larmes sortaient en silence des yeux de la fille, l’ado qui venait de finir sa vie sans le savoir, comme ça, après que quelqu’un eut l’idée fantastique d’appuyer sur un bouton pour montrer sa force, pour montrer sa virilité, pour montrer qui commandait, sans se douter que finalement, tout le monde y passerait.
Ensuite il y eut la lumière. Plus vive que tout ce qui existe. Plus forte que le soleil lui-même.
Puis le feu. Même dans la cave, le feu entra. Brûla. Dévora.
La peau fondue, les femmes ne s’en sortirent pas.
L’homme défiguré, après avoir attendu des heures dans une souffrance sans nom, les doigts collés au sol, les vêtements incrustés dans la peau, parvint à se hisser dans les décombres après des minutes infiniment douloureuses.
Puis il sortit.
Plus rien n’était. Le ciel n’était plus là. L’air non plus. La pluie était noire, comme un pétrole sorti du puits. Les rares hurlements ravivaient sa propre douleur, physique, mentale.
L’homme sans forme hurla ce qu’il pouvait, ce qui fut difficile étant donné l’état de ses poumons et de ses cordes vocales. Le sang coagulé obstruait sa gorge. Il suffoquait.
Mais il ne mourra pas.
Pas tout de suite.
Il marcha. Marcha. Encore et encore, contre le vent, contre le gel, contre les rares survivants aussi déformés que lui. Il courut ce qu’il pouvait avec ses jambes arquées et collées dans ses chaussures qui ne formaient plus qu’un avec ses pieds. Il but l’eau irradiée des rivières, des lacs, suça la glace ici et là. Puis il parvint au renouveau après de mois de errements, de siestes à l'abri de maisons émiettées, de magasins effondrés, de caves gelées.
Il était parvenu devant une entrée vers le paradis, vers l’air, la liberté.
L’antre de certaines élites. Elle ne se voyait que peu, mais la porte de métal qui devait bien faire des tonnes, les panneaux militaires devant l'énorme cailloux ne laissaient que peu de doutes. Dedans, se dit-il, il y avait des hommes prêts à coloniser les profondeurs de la terre, y ramper comme des vers et se nourrir de réserves, se nourrir de désespoir, rire devant les horreurs dont ils avaient échappé... Ardemment, il désirait les rejoindre, mais au fond de lui, il voulait leur montrer, leur vomir ses relents nucléaires, faire exploser leurs compteurs geiger.
On ne le laissa pas rentrer. Ses pustules faisaient peur, se dit-il. Sa peau fondue effrayait, pensa-t-il. Sa bouche tordue repoussait. Les caméras fixées sur lui oscillaient, comme pour lui dire “non”. Mais l’homme sans ne bougea pas pour autant, il n'avait plus la force. Il resta là, devant la porte filmée et mourut devant, en ayant pour dernière vision cet édifice d'espoir au lieu de sa famille, ce qu'il regretta dans son dernier souffle irradié.
Ce qu’il ignorait, quand il avait tenté d’amadouer les gens à l’abri en bougeant ses bras, en essayent de crier, en gravant dans la neige des sos désespérés, c’est que la caméra agissait seule. Les hommes à l’intérieur ne l’avaient même pas vu. Parce qu'eux aussi étaient morts.
De la même façon que les peuples qu'ils avaient décidé de brûler. Ils avaient tout simplement oublié les failles, les fissures, la nature qui ne laisserait pas faire les choses. Le feu était entré par les ventilations, les tremblements de terre avait écrasé les militaires sous des décombres si lourds qu'il ne restait d'eux que des magmas de sang... rien ne pouvait persister dans un tel monde, et ce n'était pas plus mal.
Ainsi, tout le monde fut décimé, parfois sous les bombes, parfois sous la connerie.
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Cette histoire m'a été inspirée par les ouvrages merveilleux "Swan Song" de Robert McCammon