La crypte maudite I
La pluie s'écrasait sur le sol de pavé dans des bruits d'éclats, tous étaient à l'abris de la tempête. L'eau trempait l'armure des gardes qui grelotaient sous la pluie.
— Bon sang ! Quelle idée de sortir par un temps pareil ! pesta l'un des hommes.
— Les ordres sont les ordres ! répondit le deuxième.
De leur tour de garde, toute la Vallée s'offrait à eux ; un sentier de pavés s'éffaçait dans l'horizon, des collines vertes s'étendaient au loin et de grands arbres jonchaient le sentier tout comme la ville entourée de remparts en pierres grises.
Le vent frappaient leurs armures dans un fracas métallique et fouettaient les feuilles sans s'arrêter. Le plus petit des gardes se prénommait Gordon, il était plus fin que son collègue, Leif, et aussi plus râleur.
— Et dire que le capitaine a pris congé, souffla Gordon.
— Sûrement avec sa catin favorite, blagua Leif.
Les deux hommes rirent aux grands éclats quand soudain, un homme aux habits sales et à la barbe grise trainant une charrette arriva ; un homme inconscient gisait dedans, couvert de bandages rougis par le sang.
— Qui va là ?! s'écria Leif.
— Je ne suis qu'un fermier vivant non loin de la crypte. Ce malheureux hurlait à la mort depuis l'intérieur, quand je l'ai sorti il était inconscient, expliqua l'homme. Je pense qu'il faudrait l'héberger.
Gordon plissa les yeux, il lâcha un cri de surprise en reconnaissant l'individu.
— C'est Eilert ! Je le reconnais ! Ce vieux fou cherchait à explorer les cryptes ! Vous pouvez entrer !
Gordon descendit de la tour et inspecta les blessures d'Eilert. Il jugea qu'il n'avait besoin que de peu de repos alors il conduisit l'homme chez sa femme ; c'était également parce que ce fermier dégageait une forte odeur qui lui donnait des nausées.
Sa femme, une dénommée Lisbet, cria en le voyant ainsi ; la panique l'assaillit, elle était totalement affolée.
— Du calme Lisbet, souffla Gordon. Il n'a pas grand-chose, qu'il dorme un peu et ça devrait suffire.
Lisbet le fixa de ses grands yeux bleus, la respiration haletante, le coeur battant de plus en plus vite. Elle tenta de se calmer en respirant lentement. Gordon et elle amenèrent Eilert à l'intérieur ; le feu crépitait dans la cheminée et les trois filles du couple sortirent directement de table pour aller voir leur père.
— Reculez, les filles ! Papa a eu un accident, expliqua Lisbet.
— Tu devrais faire obéir ton mari aussi, sourit Gordon. Les cryptes sont dangereuses, il le sait.
Lisbet souffla en passant ses mains sur son front ridé. Elle renoua ses cheveux bruns en regardant son mari, blessé sur leur lit.
— Il est têtu, soupira-t-elle. Il le sait très bien qu'il ne doit pas y aller mais il y va quand même. Il n'est plus en âge d'explorer surtout depuis sa chute.
Gordon se souvint ; en effet, quelques mois plus tôt Eilert avait chuté d'une pente et s'était brisé la jambe. Depuis, il avait toujours du mal à marcher.
— Bon, je resterais bien au chaud mais j'ai une porte à garder ! lança Gordon.
— Viens prendre une hydromel avant d'y aller, va, ordonna Lisbet. Les filles ! Arrêtez de vous disputer ! cria-t-elle en entendant ses enfants se chamailler. Il va être l'heure de dormir !
Bien que Gordon ne fut pas du genre à braver son tour de garde, la pluie et l'appel de la boisson lui firent vite changer d'avis. Il s'assit à la table en bois et attendit Lisbet.
— Le temps est vraiment moche aujourd'hui, déclara-t-elle.
— C'est sûr ! Mais bon, on a l'habitude. Au pire on se chope un rhume.
— Je suppose que Bjorn reste bien à l'abris, sourit Lisbet.
— Oh ! Le capitaine est... Gordon se tourna pour voir si les filles n'étaient pas là. Il se fait plaisir dans les maisons rouges.
Lisbet écarquilla les yeux et se mit à rire. Elle ignorait que le capitaine de la ville allait dans ce genre d'endroit. La prostitution était parfaitement légale mais très mal vue dans cette ville, certains voulaient l'interdire mais le baron n'y fit rien.
— On aura tout vu ! sourit-elle.
— Tu m'étonnes, beaucoup de gardes y vont mine de rien.
— Le baron aussi j'imagine sinon il aurait changé la vie de ces pauvres filles.
— C'est vrai que c'est triste, souffla Gordon. Certaines travaillent là-bas depuis leurs seize ans et c'est une vie de misère.
*
Pendant ce temps, Leif grelotait dehors ; heureusement pour lui, la pluie s'était arrêtée. Il plissa les yeux pour tenter de mieux voir une étrange lueur verte au loin. Après un rapide coup d'oeil au ciel, il se dit que son tour de garde allait bientôt être terminé et que ça ne servait à rien d'aller voir.
*
De l'autre côté de la ville, dans les bas-quartier se trouvaient les maisons-rouges ; à la fois repère de voleurs et lieu de luxure depuis des années. C'était le quartier le plus animé la nuit et le plus sale les autres jours ; traces de vomis, de sang, cadavres même parfois, on pouvait tout y trouver. Les plus démunis vivaient dans les ruelles, la peur au ventre ; une agression arrivait si vite, ils voyaient des choses qu'ils ne pensaient jamais voir.
Un homme en armure entra dans le palais de la luxure ; il ne rendit pas l'attention aux femmes qui venaient l'accoster la poitrine dévêtue. Il se dirigea à l'étage, là où se trouvaient les chambres ; des gémissements et cris de plaisir en sortaient. Il avança, il savait où aller.
Il entra dans la chambre sans frapper et regarda le capitaine et la dame en pleins ébats.
— Mon capitaine, j'ai à vous parler.
Dans des cris de surprise, ils stoppèrent leurs activités et se retournèrent. Le capitaine cacha ses attributs sous la couverture et lança un regard noir à l'homme, il était rouge de colère.
— Bordel ! On vous a jamais appris à frapper avant d'entrer ! Raclure de mercenaire !
L'homme rit aux insultes. Il était accoudé contre le mur, les bras croisés.
— C'est plus urgent que vos activités.
— Je t'en foutrai du plus urgent ! gueula le capitaine. Désolé, dit-il à la dame. Je dois vous laisser.
Le capitaine n'avait plus rien d'un grand combattant. L'excès de boisson et de nourriture remplaçait ses muscles par de la graisse et sa petite taille ne lui donnait guère plus de charisme. Seul son visage à la mine sévère pouvait lui donner du sérieux : barbe soigneusement taillée comme un soldat et yeux perçants, il n'avait juste plus ses cheveux d'antan.
Son visiteur, quant à lui, avait tout d'un mercenaire ; grand, fort, une cicatrice marquait sa joue droite bien que sa barbe la cachait. Ses cheveux bruns étaient attachés dans sa nuque. Dès que le capitaine fut prêt, ils sortirent.
— J'espère que vous avez une bonne raison de venir me déranger ! s'écria-t-il.
— Aussi non quoi ? Vous signalerez au baron que je vous ai interrompu dans votre partie de jambes en l'air exécutée durant votre temps de travail ? sourit-il d'un air moqueur.
Le capitaine pesta et se calma ; si le baron était au courant, il perdrait son poste à coup sûr.
— Si je suis là c'est que c'est urgent, j'aurais besoin de quelques hommes pour aller dans une crypte.
Le capitaine grimaça.
— Et puis quoi encore ? s'énerva-t-il. Vous irez en exploration seul !
— Les disciples d'Ingvar seraient revenus, le coupa le mercenaire.
Les lèvres du capitaine s'ouvrirent seules alors que ses yeux s'écarquillèrent et qu'il devint pâle. Il fut paralysé par l'effroi qui lui glaça le sang.